On se souvient aujourd'hui d'Eugène Sue (1804-1857) comme de l'auteur des
Mystères de Paris (1842-1842) et il est vrai que Fleur-de-Marie, le Maitre d'école, le Chourineur ou encore Rodolphe, grand-duc de Gérolstein, ont passionné des générations que ce soit au théâtre (1844), au cinéma (1943 et 1962) ou encore dans des adaptations télévisées (1961 et 1980).
On a oublié que l'auteur, fils bien né, dandy à ses heures, fut un ardent républicain qui mourut exil en Savoie alors possession italienne. On a aussi oublié qu'il fut Un auteur prolixe.
C'était la glorieuse époque du roman-feuilleton. Sous l'impulsion,
d'Emile de Girardin et d'Armand Dutacq la presse qui apprenaïit
à devenir le quatrième pouvoir avait compris que la fidélisation
de ses lecteurs passait aussi par les bonnes recettes de Shéhérazade,
à savoir une histoire quise suit au fil des jours, ou parfois aufil des nuits.
Balzac a ainsi publié beaucoup de ses romans d'abord dans la presse
il ne fut bien sûr pas le seul.
Parmi les thèmes qu'affectionne plus particulièrement le public il y a
bien sûr le roman de cape et d'épée dont le fleuron qui donne le la au
genre est bien sur celui d'Alexandre Dumas avec ses Trois Mousquetaires (1844). Et de fait le XIXÈ"E siècle va enchainer les succès et les chefs d'œuvre du genre.
Du Bossu (1857 en feuilleton) de Paul Féval en passant par Le Capitaine Fracasse (1863)
de Théophile Gautier jusqu'au Capitan (1907) de Miche Zévaco et sa série des
Pardaillan (1905-1918) le public français se délecte de ces romans.
S'il faut bien reconnaitre la dette que le reman historique doit à Walter
Scott et plus particulièrement à son fanhoé (1819), il n'en reste pas
moins vrai que le roman d'aventures maritimes ou de pirates si vous
préférez est sans doute né à Paris sous la plume de James Fenimore Cooper,
le papa du Dernier des Mohicans (1826). Son Corsaire Rouge (1827) est un tel succès
aux Etats-Unis qu'une adaptation théâtrale est faite 44 jours
après sa publication à Philadelphie.
Toujours est-il qu'il écrit Kernok le Pirate en 1830,
aventures des plus sanguinolentes. Même si
le ton est plus mesuré il y a beaucoup de points communs
entre Le Morne-au-Diable (1842) et ce pirate là.
Dans le deux cas l'action commence en France,
se poursuit dans les Caraïbes et se termine de
nouveau en France bien des années plus tard.
Mais ici il ne s'agit pas de pirates mais d'un roman
d'aventures exotiques dont le cadre principal est la Martinique.
Nous sommes en 1690 et Monsieur de Croustillac
a eu la mauvaise idée de se battre en duel.
Depuis le 2 juin 1626 par un édit de Richelieu
la chose est interdite et même passible
de la peine de mort.
D'ailleurs pour avoir fait fi de cette loi François de Montmorency-Boutteville et François
de Rosmadec des Chapelles sont décapités un an plus tard en place de Grève.
Or non seulement Croustillac s'est battu mais
il a en plus tué net son adversaire.
Le voilà qui file donc à bride abattue vers La Rochelle espérant embarquer sur un navire
en partance vers les Caraïbes.
Ce qu'il fait comme passager clandestin dans un premier temps puis en se faisant connaître du capitaine.
Durant le trajet il apprend qu'un veuve de Martinique
est fort riche, comme il est des plus désargenté, l'épouser serait une solution à ses maux d'argent.
Mais voilà la veuve est surnommée La Barbe-Bleue
car elle a déjà enterré trois maris.
De plus elle est protégée par un boucanier, Arrache-
l'âme, un flibustier, L'Ouragan et un indien caraïbe.
Croustillac réussira-t-il dans son entreprise ?
Tel est l'argument du roman et partant de cette adaptation. On y
trouve les rebondissements propres au feuilleton, l'exotisme de paco-
tille, un poil de mélo et une fin morale. Plus que la BD le livre fait preuve
par endroit d'un humour de bon aloi comme cette scène où apparait
Croustillac pour la première fois devant le capitaine et ses convives :
« Le capitaine restait béant, regardant son nouvel hôte d'un air presque effrayé.
- Ah ça ! Qui êtes-vous ? Je ne vous connais pas. D'où diable sortez-vous donc, monsieur ?
s'écria-t-il enfin.
- Si je sortais de chez le Diable, ce bon père … (et le Gascon baisa la main du père Griffon),
ce bon père m'y renverrait
bien vite en me disant : Vade retro Satanas.
- Mais d'où venez-vous, monsieur ? s'écria le capitaine, stupéfait de l'air confiant et souriant
de cet hôte inattendu; on
n'arrive pas ainsi à bord. Vous n'êtes pas sur mon rôle d'équipage...
Vous n'êtes pas tombé du ciel peut-être ?
- Tout à l'heure c'était de l'enfer, maintenant c'est du ciel que je viens. Mordiou !»
Hergé qui, ne l'oublions pas, était le directeur artistique du Journal de Tintin avait des idées très arrêtées sur la tenue de SON journal. Raymond Leblanc qui était le propriétaire du journal en avait d'autres et c'est lui qui in fine a gagné. Mais en cette année 1950, le maitre à bord artistique est bel et bien Hergé. Il imprime son style à la revue.
Cette même année il a demandé à Georges Beuville (1902-1982) de rejoindre le journal.
Celui-ci va offrir toute une série de gags puis en 1950 se lance dans l'adaptation du roman de Sue à qui il reste assez fidèle à ceci près qu'on ne résume pas un roman de près de 400 pages en 35 planches.
Comme pour le Quichotte de Trubert nous sommes en présence d'images avec un texte en dessous, procédé déjà vieillot à l'époque mais qui était censé montrer implicitement l'hommage fait à l'écrivain., pardon au littérateur!
Certains pourraient penser que Beuville a fait assaut de flagornerie
en appelant Licorne le vaisseau qui amène Croustillac aux Antilles.
Il n'en est rien. C'est bien le nom que l'on trouve dans le reman.
Il n'en reste pas moins que la coïncidence est plaisante.
De même, crochet mis à part Croustillac fait beaucoup penser au
capitaine Crochet de Walt Disney. Mais là aussi il s'agit d'une coïncidence.
D'abord parce que Beuville est plutôt fidèle à la description qu'en fait Sue :
« M. de Croustillac était un homme de haute taille et d'une maigreur excessive:
il paraissait âgé de 36 à 40 ans. Ses cheveux, sa moustache et ses sourcils étaient
d'un noir de jais, sa figure osseuse, brune et halée.
Il avait un long nez, des petits yeux fauves d'une vivacité extraordinaire. »
Enfin Beuville ne pouvait avoir copié Disney puisque le film n'est sorti aux Etats-Unis
qu'en février 1953 et pour Noël de la même année en France,
soit bien après sa publication dans Tintin.
Est-il possible que ce soit l'inverse car le Crochet du dessin animé ne correspond pas vraiment
à celui de J.M. Barrie ? La chose serait très étonnante mais allez savoir!
Un dernier mot sur « morne » qui signifie en fait colline, terme que l'on retrouve
dans la plupart des îles qui furent au moins un temps des colonies françaises.
À noter qu'il y a en effet des mornes en Martinique mais pas de Morne- au-diable,
même si dans le roman il s'agit d'une plantation.
En revanche, on trouve bien un Morne aux Diables en
Dominique mais vous remarquerez qu'il est diaboliquement pluriel
et cache ne fait un volcan.
Je remercie enfin François qui, une fois encore, m'a sauvé la mise en me prodiguant
la planche manquante.
Bon vent, la Licorne va bientôt lever l'ancre !
Remerciement à Voltaire57 pour ce magnifique album et pour la rapidité
avec laquelle il a été réalisé.
Liens: .zip - .pdf
Publié par Monsieur Augustin