Hommage
au dessinateur Jean-Jacques Sempé
décédé
ce jeudi 11 août 2022 à l’âge de 89 ans.
Jean-Jacques
Sempé est né à Pessac, près de Bordeaux, le 17 août 1932. Enfant naturel, Sempé
s’est confié dans un entretien bouleversant avec Marc Carpentier lors de la
sortie de son album "Enfances" en 2012 : « Mon enfance n’a pas été follement gaie. Elle
était même lugubre et un peu tragique... Moi tout ce que je recevais c’étaient
des torgnoles ! » . Enfant naturel,
son père adoptif, monsieur Sempé était
représentant de commerce. Quand celui-ci, à bicyclette, réussissait à bien vendre
ses boîtes de conserve, il allait fêter
ça au bistrot et en revenait passablement éméché. S'enclenchaient alors entre les
parents des terribles altercations. « C'était
toujours des bagarres, toujours des disputes, toujours des dettes, toujours des
déménagements en vitesse.» L’école
sera pour le petit Jean-Jacques un refuge mais il cachera sa timidité et son
relatif bégaiement en se montrant chahuteur. D'où son envie dès 12 ans, pour
quitter cette triste réalité, de dessiner des gens heureux, de déjà réaliser des scènes humoristiques…
A dix-sept ans,
il est livreur à bicyclette chez un courtier en vins. Utilisant un peu trop
souvent le papier à en-tête du courtier pour dessiner, il est renvoyé. Cela ne
l'arrête en rien, et il vend ses premiers dessins en 1950 dans la revue « Sud
Ouest Dimanche ». Peu après, il s'engage dans l'armée en falsifiant ses
papiers pour masquer son jeune âge et il sera affecté dans la région parisienne. « Venant
de Bordeaux, j'ai été tout de suite enchanté par le métro, les autobus, la
fièvre de la ville. » Après l’armée, il réussit à vivre avec d’énormes
difficultés des dessins dans les journaux. En 1954, il fera la connaissance de
René Goscinny revenant de son séjour aux States. Ils se lieront très vite
d’amitié.
Tous deux
travaillent entre autres pour l'hebdomadaire belge « Le Moustique »,
qui publie leurs dessins en couverture et sous forme de feuilletons. Sempé
esquisse un petit personnage sous la forme d’un éphémère dessin en une case,
qu’il intitule Nicolas. Sollicité par le rédacteur en chef pour en faire une
bande dessinée, Sempé, peu inspiré par cet exercice, propose naturellement à
son ami René Goscinny (déjà scénariste de Lucky Luke) d'en écrire le scénario. Celui-ci
signera alors sous le nom d’Agostini. Hélas, l’aventure ne durera pas et s’arrête à
la vingt-huitième planche. Goscinny est licencié par l’éditeur du journal pour
avoir réclamé une meilleure reconnaissance des auteurs, et Sempé, solidaire,
s’en va lui aussi.
Trois ans plus
tard, Sud-Ouest Dimanche passe une commande aux deux auteurs qui, reprenant
leur Petit Nicolas, lui donnent cette fois-ci la forme d’un conte illustré. Le 29 mars 1959
paraît la première histoire du Petit Nicolas. Le succès est immédiat et le
premier album paraît l'année suivante. Les histoires sont ensuite publiées dans
le magazine Pilote. En dix ans de collaboration, Sempé illustre avec près de
mille dessins plus de 222 histoires écrites par Goscinny. « Le Petit Nicolas, c’est d’abord une histoire
d’amitié. Il ne l’aurait jamais fait sans moi, mais le plus important, c’est
que moi je ne l’aurais jamais fait sans lui. Nous étions de vrais complices. »
Les aventures du
Petit Nicolas sont traduites dans une quarantaine de pays dans
le monde et ont
été adaptées trois fois au cinéma: «Le Petit Nicolas » en 2009
sera suivi
en 2014 par « Les vacances du Petit Nicolas » puis suivra
« Le trésor
du Petit Nicolas » en 2021.
Un dessin animé est en préparation pour le
cinéma qui racontera comment
a été créé le petit Nicolas par ses deux auteurs.
Sortie cinéma prévue fin 2022.
Parallèlement à
cela, Sempé dessinera des dessins pour des revues et des journaux et de plus en
plus nombreux : Le Rire, Noir et Blanc, Ici Paris, Samedi soir, France
Dimanche, Pilote, Paris Match, L’Express, le Figaro, Télérama, Le Nouvel
Observateur mais aussi à l’étranger, pour la revue britannique Punch,
hebdomadaire humoristique et satirique fondé en 1841 et disparu en 2002, et aussi
la revue américaine Esquire, magazine mensuel pour hommes connu surtout pour
avoir publié
les peintures de pin-up d'Alberto Vargas.
Et puis, surtout
la consécration : en 1978, il réalise sa première couverture du prestigieux
magazine américain New Yorker dont, bien
que Français, il va devenir une star en
réalisant jusqu’en 2019, 112 couvertures et autant de "cartoons" en
pages intérieures... « Ma première
couverture ? C’était le dessin d’un homme sur le rebord de la fenêtre d’un
building, qui hésitait à prendre son envol », racontait Sempé.
Malgré un
accident vasculaire cérébral en 2007, Sempé n’a jamais abandonné sa table de
dessins dans son atelier du boulevard du Montparnasse, à Paris. Aussi, en 2018,
pour sa dernière "Une", la 112e, publiée à l'âge de 86 ans, il dessinera
un groupe d’enfants dans un luxueux salon, plongés dans la lecture d'un
ouvrage.
L’écrivaine et
directrice artistique du New Yorker Françoise Mouly dira de lui « Par son trait fragile et délicat, il a
capturé un large éventail des plaisirs simples de la vie ». En effet, ses magnifiques dessins expriment le bonheur
de vivre dans une ville unique, avec ses chats insouciants et ses humains
minuscules, sa frénésie, ses nuages, son gigantisme, ses danseurs, ses jazzmen
et ses scènes dans Central Park.
Ils ont été rassemblés dans le livre « Sempé
à New York », édition Denoël,
paru en 2009 avec une réédition en 2016 puis
une troisième annoncée en octobre 2022. « J’aime
les couleurs de New York ! » disait Sempé. « Elles sont vivantes : jaunes, verts, rouges et bleus
vifs.»
Dessinateur
émérite, Sempé était également un grand amateur de jazz. Le Monde rapporte : « Duke Ellington, d’abord. Comme pour
beaucoup,
le jazz m’a fait aimer tout le reste. Ceux que j’ai aimés
spontanément, ce
sont les modernes, Charlie Parker, le be-bop… ». En 2017,
il a publié une oeuvre sobrement intitulée Musiques. Il y a confié sa relation
à la musique, ses rencontres fantasmées avec Duke Ellington, Ravel, Debussy et
Satie et son attrait pour les chansons de Paul Misraki ou Charles Trenet.
Souvent une
planche accompagnée d'un texte court, trait fin à l'encre et parfois aquarellé,
les dessins de Sempé sont reconnaissables entre tous. Imbattables pour traduire
une ambiance, une atmosphère ou encore des émotions, ses dessins suscitent le
rire, la tendresse, et la réflexion. Le dessinateur a croqué la vie sous toutes
ses formes, avec tendresse,
et toujours avec un trait d'humour et une grande
poésie.
Enfin, même si
Le petit Nicolas connaît le succès que l’on sait, permettez-moi de vous
présenter son livre qui m’a personnellement le plus touché : « Marcellin
Caillou », on y trouve toute la tendresse et la finesse de Sempé dans
cette très belle histoire d'amitié entre deux garçons, Marcellin le rougissant
et René l'éternuant. Une merveille qui nous rappelle combien dans notre
univers, il serait toujours bon d’accepter les autres dans leurs différences…
Quelques vidéos :
Superbe vidéo de 2011 « Sempé, dessinateur
d'humour » (52 :28) :
https://www.youtube.com/watch?v=ZVxw7mNd6hc
Vidéo de France 5 de 2018 « Sempé, tout pour la
musique » (5 :10) :
https://www.youtube.com/watch?v=I0q39S38vEc
Vidéo de 2019 « Sempé : itinéraire d'un dessinateur
d'humour » (3 :07) :
https://www.youtube.com/watch?v=InTkGaWvT08
Vidéo sur Twitter : en 1961, Sempé et Goscinny évoquent
leur rencontre et la naissance du plus célèbre des petits écoliers
(8 :02) :
https://twitter.com/i/status/1558025292098174976
bande-annonce du Petit Nicolas 1 au cinéma :
https://youtu.be/mnx9Y65-ltM
bande-annonce du Petit Nicolas 2 au cinéma :
Les Vacances du Petit Nicolas (2014)
https://youtu.be/OVHQPrji2YM
bande-annonce du Petit Nicolas3 au cinéma :
https://youtu.be/nKy5WnQJ4ks
bande-annonce du dessin animé au cinéma:
Le Petit Nicolas, qu'est-ce qu'on attend pour être
heureux : (2022)
https://youtu.be/eTuzr6-Xi-A
Curiosité : quelques pièces BD en numismatique :
En 2014, La
Monnaie de Paris a produit un thème dans sa collection des pièces de prestige.
Le thème choisi consistait à représenter les valeurs de la République de liberté, d'égalité,
et de fraternité pour chaque saison de l’année par une série de 4x3 pièces de
10 euros. Elle avait chargé Jean-Jacques Sempé de créer les mises en scène qui
seraient représentées sur ces pièces. Sempé a alors choisi comme fil rouge de
la collection, la bicyclette, mode de transport qu'il affectionnait
particulièrement. Ainsi, il a incarné la liberté en imaginant un homme pédalant
sourire aux lèvres et bras écartés. L'égalité fut représentée par un couple en
tandem tandis que la fraternité allait être illustrée par quatre enfants à vélo
se tenant par les épaules. « Il fallait
trouver un thème dont le dessin simple puisse être réduit et exploitable sur
une pièce, ce qui n'est pas chose aisée. Le vélo s'est cependant très vite
imposé, avec ses roues rondes comme des pièces et peut-être aussi parce que
j'ai toujours adoré en faire. Le vélo c'est un moyen simple d'être libre. Cela
me fait très plaisir de voir mes dessins sur des pièces de monnaies. Je trouve
cela drôle, c'est original. J'avoue que je n'aurais jamais cru avoir un jour un
dessin sur une pièce. »
Quelques réactions :
« La tendre ironie, la délicatesse de
l'intelligence, le jazz: nous ne pourrons pas oublier Jean-Jacques Sempé. Son
regard et son crayon vont cruellement nous manquer. Du Petit Nicolas en passant
par Monsieur Lambert, jusqu'aux promeneurs de Saint-Germain-des-Prés, il avait
l'élégance de toujours rester léger sans que rien ne lui échappe », a écrit le président Emmanuel Macron dans un message sur Instagram
accompagné par le dernier dessin de Sempé paru dans le numéro du 4 au 10 août
de Paris Match.
« Sempé, c'était le dessin, c'était le texte.
C'était le sourire et la poésie. C'était parfois la larme à l'oeil de rire, ce
soir, elle est d'émotion. Mes pensées vont à sa famille et à ses proches »,
a pour sa part réagi la Première ministre Elisabeth Borne, sur son compte
Twitter, à l'unisson de plusieurs membres du gouvernement.
« Sempé n'est plus là, mais ses dessins
resteront intemporels. Ils m'ont accompagnée à Beyrouth, à Paris, à New York »,
a tweeté la ministre française de la Culture, Rima Abdul Malak. « Avec tendresse, poésie et malice, un humour
qui se déplie à l'infini et une liberté absolue, il nous a appris à regarder le
monde avec un regard d'enfant. »
Plantu, ancien
dessinateur du Monde, invité à témoigner sur France Inter, a raconté une belle
anecdote : « Je suis allé dans des musées
où il y avait des dessins de Sempé, j’entendais les gens rire, avec une jolie
simplicité. Je trouve qu’il a donné de la dignité au silence. » Et d’ajouter :
« Le blanc de Sempé, c’est déjà du trait ».
Et deux dessins
, l’un de Framic et l’autre de Joan Sfar:
« Il nous faut retrouver la bonhomie française, cette sorte de grâce
et d’élégance mêlées à de la fraternité. L’époque est devenue horriblement
vulgaire : il suffit de regarder la télé. Sans parler de la cruauté qui
s’est installée parfois entre les gens. Mais je garde toujours espoir. Mon
Dieu, oui… »
Sempé .
Son univers ? Poétique et un brin
mélancolique !
Ses dessins ? Des individus qui nous ressemblent…
Lui qui nous a fait sourire sans jamais nous blesser
Paisiblement, aujourd'hui nous a quittés.
Sa disparition nous a émus, nous a attristés.
A sa famille,
A tous ses
proches qui ont eu la chance de le côtoyer,
Nos chaleureuses pensées.
Texte et dossier de Philippe
Grand merci pour cet excellent hommage
Publié par Monsieur Augustin
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