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Ce New York Année Zéro marque le retour de Ricardo Barreiro (1949-1999) en Argentine. Il avait quitté le pays six ans plus tôt du fait de la junte militaire en place. Pour autant durant cette absence le scénariste n’a cessé de travailler pour son pays.
Tout en vivant en Espagne puis à Paris et ensuite Rome il crée ainsi en 1979 la saga Barbara qui fait quelques 500 planches. Durant cet exil qui lui a permis de se faire connaitre en Europe il travaille essentiellement pour les revues italiennes LancioStory et Skorpio. Dans le lot on trouve La Sauvage avec Luis Garcia Durán au dessin, toujours inédit en France, le diptyque La Fille de Wolfand et l’Homme de Wolfland avec Franco Saudelli, ce dernier volume étant toujours inédit en français, etc.
Avec Juan Gimenez il offre l’Etoile Noire puis La Ville, ce dernier étant là encore inédit chez nus. D’une manière générale et plus particulièrement durant cette période il s’est beaucoup penché sur la science-fiction et ses dérivées.
L’Etoile Noire appartient au registre du space opera, La Ville est une sorte de Mad Max dans un monde en déliquescence. La Troisième Guerre Mondiale crée l’univers de La Sauvage, également dans une ambiance à la Mad Max. C’est le même prétexte pour Barbara mais là le thème tire davantage vers Simon du Fleuve. Le Pêcheur de Brooklyn relève de l’anticipation puisque nous sommes dans le futur d’un New York ravagé par la pollution, Wolfland s’inscrit dans l’uchronie, etc.
Ce New York Année Zéro est fait en collaboration avec Juan Zanotto qui était déjà son partenaire dans Barbara, série qui s’était achevée en 1983. Ecrite en 1984 cette série-ci nous transporte en 2015. L’histoire a été publiée en 1985 et 1986 en 12 chapitres de 8 pages chacun. Elle s’ouvre par la guerre sur la planète Vénus et fait penser au bourbier vietnamien. Les militaires en prenant largement pour leur grade, on peut y voir, de manière plus ou moins feutrée, une allusion à la guerre des Malouines (1982) qui eût pour effet bénéfique de chasser les militaires du pouvoir.
Puis on découvre ce New-York de 2015 qui n’a pas été le nôtre, la violence étant notamment hypertrophiée à l’extrême. Barreiro y intègre des éléments novateurs à l’époque comme les hôtels capsules (1979) mais les décrit détériorés.
D’une manière plus générale cette bande est marquée par l’influence du cinéma américain. Hors space opera et aliens dans cette période fin des années 60, début 80, on trouve parmi les œuvres qui ont eu une grande influence La Nuit des Morts-Vivants (1968), La Planète des Signes (1968), Soleil Vert (1973), New York 1997 (1981) et Blade Runner (1982). Il existe d’autres très bons films et certains ont même évoqué bien avant les thèmes abordés par ces films. Mais le succès de ces mousquetaires-là a fait qu’ils ont marqué davantage et inspiré d’autres auteurs.
Réellement le premier à mettre en scène à la fois la surpopulation, la pollution, la société à deux vitesses, etc. Soleil Vert forme le substrat de cet album. Barreiro y ajoute des éléments de New York 1997 dont la principale novation était d’intégrer la violence à la Mad Max dans un univers urbain laissé à vau-l’eau. Quant au décor il est peu ou prou inspiré de Blade Runner. De même à l’issue de cette histoire on peut y voir des références au Cerveau d’Acier (1970).
Ce futur dystopique Barreiro venait de l’aborder avec le Pêcheur de Brooklyn, le côté guerrier en moins. Il recycle d’ailleurs certaines de ses péripéties, comme le requin qui remplace dans cet album le crocodile.
Ce sont ces aspects d’une société future qui aurait pu ou pourraient encore exister qui rendent cet album intéressant. Toutefois, à mon sens, l’œuvre majeure dans ce domaine nous vient d’Horacio Altuna, un autre argentin, avec Chances (1986 en espagnol, 1987 en français). Cette histoire de clone dans un monde à deux vitesses, l’un qui profite de la science, l’autre qui se délite préfigure notre mode actuel avec le petit excès supplémentaire qui nous amène à réfléchir.C’est une fable philosophique à laquelle nous sommes conviés sur le sens de la vie, la notion d’être humain et la marche consumériste du monde.
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Chances (1986) |
Même dans une œuvre d’un intérêt très relatif et assez racoleuse comme Le Pénitencier (1989) le dessin de Zanotto permet de susciter l’intérêt. Hormis Falka et encore manque-t-il la partie Horizons Perdus encore plus copieuse, aucune de ces histoire n’a été traduite en français. C’est d’autant plus dommage que cela démontrer que nos éditeurs ont des œillères et se fichent comme d’une guigne, à de trop rares exceptions près, des autres productions latines de nos voisins proches ou beaucoup plus lointain comme c’est le cas cette fois-ci. Disons-le tout net, c’est le lecteur potentiel qui floué.
Cet album est donc inédit en français et je porte la responsabilité de cette traduction. Chaque langue a son génie propre et on connait la formule traduttore traditore. Les traductions sont donc le plus souvent davantage la restitution d’un sens, d’une atmosphère que la version plus ou moins élégante d’un mot à mot .Celle-ci échappe d’autant moins à la règle que j’ai été contraint par la taille des phylactères. De plus Barreiro est un scénariste assez bavard qui explique assez fréquemment ce qu’on voit à l’image. Pour toutes ces raisons j’ai été amené à sabrer dans son texte, en laissant de côté des détails tout à fait secondaires c’est pourquoi j’en demande à l’avance pardon.
Mais assez de circonvolutions et place à l’aventure !
Le cinéma populaire italien a souffert du même ostracisme. Autant Ettore Scola, Pier Paolo Pasolini ou Vittorio De Sica étaient portés aux nues, autant un regard méprisant était porté sur les Hercule, péplums, films d’espionnage, d’horreur, giallo et autres qui s’adressaient certes à un public peu exigeant, mais qui après une semaine de labeur cherchait surtout à se distraire.
Et puis la critique a découvert Sergio Leone et du coup a rendu des lettres de noblesse au western spaghetti et de loin on loin on redécouvre aujourd’hui celui qui fut pendant 25 ans durant le premier producteur de films en Europe.
Il en va de même avec les fumetti, même si cette reconnaissance est encore fort partielle. On s’est aperçu qu’avec Pratt il y avait aussi des Attilio Micheluzzi, des Dino Battaglia, Sergio Toppi, Paolo Serpieri, et on pourrait continuer longtemps comme cela.
Les albums virtuels qui vous sont proposés aujourd’hui sont un prolongement et tentent de montrer que ce que nous connaissons des fumetti n’est que la partie immergée d’un gigantesque iceberg.
Ont été retenues à titre de démonstration des bandes italo-argentines. On n’a pas toujours conscience de la connexion historique et culturelle entre les deux pays.
Barbara est une bande apocalyptique argentine à l’origine mais largement diffusée dans la péninsule. Dracula, il s’agit du personnage historique, a semble-t-il été d’abord été créé en Italie... mais par un Paraguayen, Robin Wood, qui fit d’abord carrière au pays des gauchos.
Son œuvre est monumentale et totalement inconnue dans l’hexagone. Il a sans doute écrit plus de 20.000 planches. Son Dago doit vraisemblablement dépasser aujourd’hui les 5.000 planches, son Nippur de Lagash en fait moitié moins comme quasiment son Savarese.
En revanche ses Dax, Cosacco font chacun à peine plus de 1.000 planches. Petit joueur, va !
Et ses sans compter ses Helena, Qui la Legione, Anders, Il Pellegrino, Kayan, etc. Dans la plupart des cas, il s’agit de très bonnes séries et même parfois de purs chefs d’œuvre du genre.
Enfin, et de manière à réhabiliter les petits formats, Coney Island a été choisi. Son avantage est de présenter une histoire complète en 3 numéros seulement. Mais on aurait pu parler de Volto Nascosto, dont les 12 parutions forment une saga épique qui préfigure Shangai Devil. On aurait pu pointer une foultitude de séries, la plupart inédites en France, qui valent largement et parfois plus que très largement d’insipides albums tricolores.
Mais la place nous manque.
Reste à découvrir ces fumetti. Les non italophones se sentiront frustrés mais qu’ils jettent d’abord un œil. Ils verront alors si ça vaut le coup, ou pas, d’acheter un dictionnaire de poche franco-italien et ou d’utiliser deepl.com.
Quant à moi, mon choix est fait !