Rechercher dans ce blog

jeudi 17 décembre 2020

Hommage à Richard Corben - Contribution de Philippe

 Mort du bédéaste américain

Richard Corben

Styliste hors pair et adaptateur de Poe et Lovecraft, le dessinateur de 
bandes dessinées américain, Grand Prix d’Angoulême il y a deux ans, 
est mort à l’âge de 80 ans ce 2 décembre 2020.

«C’était un zombie de l’image, un dingue aux images puissantes, folles et d’une justesse non contestable.» C’est en ces termes que Philippe Druillet, visionnaire cintré de la SF monumentale, parlait de l’Américain Richard Corben. Récompensé en 2018 d’un Grand Prix à Angoulême qui venait célébrer l’ensemble de sa carrière, la furie du comic book s’est éteinte mercredi 2 décembre à 80 ans, vient-on d’apprendre de la part de Délirium, son éditeur français.

Avant de faire les belles heures de la génération Métal hurlant, avant de se mettre au diapason de ses personnages sculpturaux en devenant lui-même un adepte de la gonflette, Richard Corben était un maigrichon du Missouri. Né en 1940, il termine ses études d’art lorsque fleurissent aux Etats-Unis les comix underground. Un mouvement contestataire avec lequel il garde ses distances, préférant créer son fanzine Fantagore (nom qu’il reprendra pour monter une maison d’édition) avant de se mettre au service de Jim Warren, célèbre éditeur des magazines Eerie, Creepy et Vampirella. Nourri par les récits d’épouvante de EC Comics et les films de la Hammer, Corben sort du lot avec son dessin hyper-réaliste. Ces courts récits d’horreur gothique et de fantasy forment un théâtre grotesque, dans lequel la lumière vient sculpter des corps distordus et ajouter une formidable intensité dramatique à une écriture qui fait de Corben le maître de la chute à la grinçante cruauté. La bande dessinée selon «Gore» est sanglante, noire et moite.

Avec une incroyable aisance, il compose de sublimes pages en nuances de gris avant de faire parler la couleur comme personne aux Etats-Unis. Dans ses visages se disputent en contraste direct des rouge sang et des couleurs froides, comme aux grandes heures du giallo. La richesse de sa gamme chromatique surprend tellement que des rumeurs naissent autour de ses techniques. En réalité une grisaille (dessin en nuances de gris) à laquelle il superpose un système de calques de couleurs, démantibulant ainsi ses originaux en objets composites. Sur pièces, telles qu’exposées lors de la grande rétrospectives que lui a consacré le Festival d’Angoulême, les couleurs de Corben étaient encore plus folles, limites irréelles tant le résultat résistait à la compréhension d’auteurs chevronnés qui restaient coi devant les planches, comme envoutés. Rare auteur de BD à embaucher des modèles qui posent pour ses dessins, l’Américain est aussi un bricoleur minutieux, qui élabore des maquettes de ses futures créations afin de travailler plus fidèlement les ombres. C’est enfin un des premiers à se tourner vers l’infographie 3D, vers laquelle il se tourne dès que le matériel informatique est devenu abordable.

Corben entame sa phase épique quand Warren Publishing agonise. Son dessin-monde se déploie alors en sagas grandioses comme Den, Bloodstar ou Mondes mutants. Dans le cycle de Den, un employé du bureau falot se métamorphose en montagne de muscles sévèrement burnées en pénétrant un univers fantasmagorique largement pompé des romans de SF John Carter from Mars. Un territoire de barbares viriloïdes et d’aventurières callipyges, puissantes et plantureuses qui souvent dominent les héros.

«La nudité et la sexualité outrancière des Den répondaient à l’esprit de rébellion et à la nature hédoniste qui m’animaient à l’époque, expliquera-t-il bien des années plus tard au magazine Kaboom. Je voulais créer un personnage qui soit le plus épique possible, avec une sexualité plus frontale que tout ce qui avait été fait auparavant en bande dessinée. Ce qui impliquait de bousculer les limites de l’esprit libertaire de la bd underground.» C’est dans les pages du magazine Actuel, en 1972, que la France découvre son travail avec Den, avant que Corben ne fasse partie des premiers auteurs de Métal hurlant en 75. Parmi eux, Moebius, grand gourou de la bande dessinée mondiale, n’a que des mots doux à l’égard de celui qu’il appelle «Richard Mozart Corben»: «Il s’est posé au milieu de nous comme un pic extraterrestre, monolithe étrange, sublime visiteur, énigme solitaire.»

En vieillissant, l’Américain tournera le dos à l’emphase de ses grandioses sagas pour revenir à ses premiers amours: les adaptations de Poe et Lovecraft. Une grammaire devenue si naturelle que même ses scénarios originaux (on pense notamment à Ratgod en 2006) semblent empruntés à ces écrivains. Reclus loin du milieu de la BD, Corben a vu sa popularité décliner au fil des ans et dû frapper à la porte des majors du comics au début des années 2000. Quelques belles choses sortent de ses collaborations avec DC ou Marvel. Comme de bons épisodes de la série Hellblazer, des pages de Hulk ou du Punisher. Chez l’indépendant Dark Horse, le génial Mike Mignola lui prête l’univers de monstres et d’ombres de Hellboy, taillé quasiment sur-mesure pour Corben.

Pour toute une génération qui n’a pas connu Métal hurlant, la carrière de Corben est longtemps passée sous le radar. Victime d’un éditeur marlou qui a disparu avec nombre de ses originaux, les livres de l’Américain ont disparu. Le micro-éditeur Toth aura bien republié quelques ouvrages, mais il aura surtout fallu attendre les années 2010 pour que son œuvre soit reprise par Delirium, qui s’attelle à la publication d’anthologies des années Eerie et Creepy ainsi que d’œuvres plus tardives. Indisponibles depuis des années, les grandes sagas de Corben restent toujours réservées aux farfouilleurs de vide-grenier et attendent des jours meilleurs pour que des yeux neufs puissent s’y perdre à leur tour.

(superbe article de Marius Chapuis tiré du journal Libération)

Joann Sfar a évoqué le génie de Richard Corben, à l'occasion de la rétrospective qu'a consacré le Festival d'Angoulême au maître américain du fantastique. Jean-Christophe Marmara/Le Figaro, Richard Corben :

Joann Sfar : «Richard Corben donne un visage aux cauchemars» (lefigaro.fr)

Quelques-unes de ses œuvres :

SOLO (49 planches – 2005)

John Arcudi & Richard Corben (scénario) – Richard Corben (dessins)

5 récits fantastiques où l'humanité en prend un sacré coup !

BIGFOOT (95 pages – 2006)

Steve Niles & Rob Zombie (scénario) – Richard Corben (dessins)

Esprits des morts & autres récits d'Edgar Allan Poe

233 pages - 2015

Richard Corben (scénario & dessins)

Mike Mignola présente Hellboy par Richard Corben

(intégrale Delcourt -321 pages - 2019)

Mike Mignola & Scott Allie (scénario) – Richard Corben (dessins)


Nous remercions Philippe pour un excellent hommage à un grand artiste 
qui laisse un grand vide.


Publié par Monsieur Augustin




9 commentaires:

  1. Encore un de plus, ou plutôt un de moins devrai-je dire.
    Triste époque...
    Bonjour chez vous

    RépondreSupprimer
  2. Un hommage excellent et bien mérité à un grand artiste qui nous a quittés malheureusement. Merci Philippe. Robert

    RépondreSupprimer
  3. The loss of Richard Corben is very sad news. Thank you for this magnificent tribute. Joyeux Noël à tous.

    RépondreSupprimer
  4. Merci beaucoup pour cet hommage à un grand artiste.

    RépondreSupprimer
  5. Aller voir "Métal Hurlant" avec ses potes au cinéma quand on est un jeune hardos, c'est une expérience inoubliable !
    RIP Richard Corben :-(

    RépondreSupprimer
  6. Mille mercis !! Gustave

    RépondreSupprimer
  7. Un grand merci pour cet hommage à Corben, en particulier pour ce Hellboy que je ne connaissais pas.
    JimiH10

    RépondreSupprimer
  8. Et un de plus qui s'en va !
    Den est orphelin et nous aussi, adieu aux musculeux héros et héroïnes aux beaux poumons pourchassées par des monstres issus tout droit des cauchemars d'un cerveau enfiévré.
    Merci pour cette belle compil

    RépondreSupprimer

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...